Rencontre avec Coralie Bertrand, Directrice de la papeterie Smurfit Kappa Rethel

Unstoppable met en lumière les histoires inspirantes de femmes dans l’industrie. Grâce à cette série, ABB entend sensibiliser le public à l'importance de la diversité et de l'intégration, et encourager davantage de femmes à faire carrière dans les domaines des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques.

Coralie Bertrand, Directrice de la papeterie Smurfit Kappa Rethel
Coralie Bertrand, Directrice de la papeterie Smurfit Kappa Rethel
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1. Parlez-nous de votre parcours professionnel ? Quelles études avez-vous suivi et pourquoi ce choix ?

J’ai suivi des études généralistes : d’abord un bac scientifique puis une classe préparatoire (maths sup/maths spé) pour passer les concours des grandes écoles scientifiques. Mais j’en ai vite eu assez de la partie théorique, c’est pourquoi j’ai cherché une école « pratico-pratique ». J’ai opté pour l’Ecole Internationale du papier à Grenoble (Grenoble INP – Pagora) car je souhaitais privilégier le côté terrain et que d’anciens élèves de mon lycée m’en avaient déjà parlé, décrivant une formation plus terre à terre.

Ce fut au grand dam de certaines personnes de mon entourage qui auraient préférées que je continue ma voie pour devenir pilote de chasse. J’avais effectivement passé le concours d’entrée de l’école de l’air et l’idée de devenir pilote me plaisait beaucoup. J’étais très sportive, j’avais fait mes preuves, mais le côté militaire m’a fait beaucoup réfléchir. Finalement, j’ai préféré m’orienter vers la papeterie. Un choix que je ne regrette absolument pas car dès les premières semaines de cours, cela m’a beaucoup plu et j’ai senti que j’étais dans mon élément. Mes 3 années d’études se sont bien passées. J’ai trouvé mon équilibre et j’ai gagné confiance en mes capacités.

2. Qu’est-ce-qui vous a conduit à travailler dans l’industrie papetière ? Et plus particulièrement à ce poste ?

Pendant mes études d’ingénieur, j’ai eu l’opportunité de réaliser mes deuxième et troisième années en apprentissage, au sein de la papeterie Arjowiggins, au Sud de Bruxelles (Belgique). J’étais donc sur le terrain et j’ai adoré – surtout être en contact avec les gens. Après avoir décroché mon diplôme, j’ai été embauchée comme ingénieur process dans une usine sœur située dans les Vosges.

Comme je m’intéressais au process, aux machines, on m’a proposé le poste de responsable production afin de pallier l’absence prolongée d’un collègue. J’ai donc accepté au départ pour une durée déterminée, mais au retour de ce collègue, il a préféré changer de voie et j’ai ainsi gardé le poste durant 3 ans.

Après une réorganisation interne, j’ai fait le choix de changer d’entreprise et j’ai intégré l’usine International Paper de Saillat-Sur-Vienne dans le Limousin. C’était le moment pour moi de changer et ce qui m’a plu, c’est de pouvoir suivre sur un seul et même site tout le processus de fabrication de la pâte et du papier du début jusqu’à la fin. Je suis repassée ingénieur de production puis après 3 mois j’ai évolué en tant que responsable production d’une des machines à papier. Un projet important s’est présenté, c’était donc ma chance de faire mes preuves et de gagner en légitimité. Même s’il m’a fallu redoubler d’efforts pour y parvenir, nous avons mené à bien ce projet et pu développer une toute nouvelle gamme de produits dans un temps très court. Je dis « nous » car à cette époque j’ai eu la chance d’être extrêmement bien entourée (équipe projet et équipe de production). Je formais également un très bon binôme avec mon adjoint. Nous étions pourtant deux personnalités totalement différentes ; son savoir technique par exemple était un vrai atout. Nous avons dû trouver les clés pour bien travailler ensemble et cela a fonctionné. Trois ans plus tard, je changeais de poste pour devenir responsable laboratoire. Ce qui me plaisait alors, c’était d’être davantage au contact des clients.

Après cette expérience, j’ai déménagé à Reims pour des raisons personnelles. Je suis alors repartie de zéro et au bout de six mois, je retrouvais le chemin de la papeterie, celui de la Papeterie de Rethel en tant que responsable de production chez Smurfit Kappa.

En janvier 2018, à mon retour de congé maternité, on m’a proposé la fonction de Direction du site. J’ai dû alors tout gérer de front car je n’avais pas encore de back-up sur mon précédent poste de production.

Aujourd’hui, l’équipe a beaucoup changé aussi bien en interne que dans ma hiérarchie. Je me considère très chanceuse d’avoir eu l’opportunité de trouver un travail passionnant proche de chez moi dans la papeterie.

3. Quels points forts avez-vous apporté à votre entreprise et à votre fonction ? Quels sont vos atouts professionnels ?

Je suis quelqu’un d’organisée. Cela peut me prendre du temps car j’ai besoin d’analyser et le temps manque parfois ! Lorsque j’ai un objectif, j’essaie du mieux que je peux de m’y tenir. D’ailleurs, ce n’est pas parce que le chemin est tout tracé que je ne vais pas essayer d’autres options. Notre cerveau est fait pour apprendre et j’aime comprendre ce qui m’entoure. Il est vrai que j’ai toujours eu ce besoin de comprendre et d’avoir une certaine maîtrise. Mais je fais également preuve de résilience sur de nombreux sujets. Au fur et à mesure de mon parcours, j’ai appris à lâcher prise et déléguer pour ainsi redonner du lest aux équipes. Aujourd’hui, c’est véritablement ce qui m’anime : essayer de faire grandir les autres. Et je dois dire que je m’épanouis presque plus en voyant les autres évoluer. Mon point fort est que j’aime le contact humain, c’est important surtout quand on est manager. Valoriser ses équipes, les voir gagner en autonomie et prendre des initiatives, c’est gratifiant. Cela signifie qu’intrinsèquement, on a bien fait notre travail.

4. Quels sont les principes ou idéaux les plus importants que vous suivez et défendez dans votre travail et votre vie (par exemple, l'égalité, la durabilité, l'équité, la curiosité) ?

En premier lieu, je dirais l’écoute. La plupart des gens ont des idées préconçues – moi la première. Au travail, je prends le temps de faire le tour des services pour écouter les équipes car je ne veux pas passer à côté de pépites et de belles idées.

L’écoute et le partage sont deux valeurs auxquelles je tiens. Et je m’inspire au maximum des échanges avec les autres dans mon travail au quotidien.

Enfin, je défends la valeur du respect : le respect des autres et le respect des règles. Pour moi, le respect concerne aussi bien les femmes que les hommes. L’égalité doit être à tous niveaux. Et il reste encore beaucoup de barrières à lever.

Ce que je retiens, c’est qu’on a toujours dû pousser pour que je rentre dans ce milieu.

La recherche de stage par exemple était déjà compliquée. Le directeur de site ne voulait pas prendre de femmes car il s’agissait d’un travail posté (faire les trois-huit). Mais mon professeur s’était porté garant et cela a marché. J’ai ensuite réussi à prouver ma valeur et j’ai été acceptée. L’année suivante, le site a réitéré l’expérience et repris trois femmes dans l’équipe en stage. Il ne faut donc pas hésiter à montrer qu’on est capable. Il y a toujours un temps de recul ; non pas par méchanceté, mais sans doute par protection.

Encore aujourd’hui, si je devais citer un autre exemple concret : il est difficile d’avoir des vestiaires femmes sur certains sites comme le mien mais ce projet finira par voir le jour, j’en suis convaincue et je m’y attèle. De plus, et j’en suis bien triste, nous ne recevons pas ou peu de candidatures féminines.

5. Comment partagez-vous ces convictions avec les autres pour qu'ils comprennent pourquoi elles sont importantes ?

Je partage énormément avec mes équipes lors de nos réunions. Il est vrai d’ailleurs que je m’exprime beaucoup et je les sollicite régulièrement pour avoir leur avis. C’est ma nature.

Pour moi, il faut oser et ne pas hésiter à parler, échanger avec les autres. C’est essentiel pour avancer au quotidien. Je leur dis souvent que « Si je prends de la place en réunion, c’est parce que vous m’en avez trop laissé. »

A côté de cela, mon bureau est toujours ouvert. Et même si je fais partie de la Direction, je fais au mieux pour rester accessible et disponible pour les collaborateurs. S’exprimer sans juger est une autre conviction que je partage : dès l’instant où on reste respectueux, on peut se dire les choses.

6. Quelle est, selon vous, votre plus grande réussite à ce jour ?

Ma plus grande fierté est d’avoir réussi à construire une équipe qui fonctionne ensemble. Elle dysfonctionne aussi parfois, mais ENSEMBLE. Et on essaie alors tous de trouver des solutions. Je suis vraiment fière de mon équipe. Déjà avant de prendre le poste de Direction, j’avais réussi à mener toute une équipe à la réussite d’un beau projet technique.

J’aime mon travail et je me reconnais dans les valeurs partagées par ma hiérarchie et le fonctionnement de mon groupe.

7. Les femmes sont généralement moins nombreuses à travailler dans les entreprises industrielles/technologiques ; quelle a été votre expérience ?

J’ai eu de la chance dans mon parcours car les hommes qui m’ont entourée m’ont toujours fait confiance. J’ai eu l’occasion de faire de belles rencontres et d’être bien accompagnée. On ne m’a jamais fait sentir que je ne pouvais pas et j’ai toujours été acceptée telle que j’étais. Tout au long de ma carrière, j’ai reçu beaucoup de soutien de la part de mon mari évidemment, qui travaille également dans l’industrie papetière mais aussi de mes collègues qu’ils soient masculins ou féminins.

Mais je dois reconnaître que c’est un monde d’hommes.

J’ai quelques anecdotes au travail par exemple. Lors d’événements organisés avec les conjoints, naturellement on vient s’adresser à mon mari alors qu’en fait c’est lui qui m’accompagne. C’est tellement ancré dans notre manière d’être que je pense que cela pourrait m’arriver aussi et que je pourrais faire cette confusion.

Je me souviens que dans ma promotion en école papetière, un tri assez net s’était fait à la fin de la première année, au moment de choisir la spécialisation. Si la mixité était alors plutôt bien respectée avec un ratio de 50%, nous n’étions plus que quelques femmes en deuxième année dans mon option. C’était comme s’il y avait une voie « pour les filles » et une « pour les garçons ». C’est dommage, mais moi cela ne m’a jamais freiné. J’ai eu l’habitude d’évoluer dans des milieux avec une majorité d’hommes, que ce soit au lycée où j’ai suivi un cursus technique avec beaucoup de sport ou lors de mes études supérieures.

8. Que conseillez-vous à d'autres jeunes femmes de faire pour poursuivre une carrière dans une entreprise industrielle/technologique ?

Ne pas se mettre de barrière. La première barrière, c’est souvent nous qui nous la mettons, en pensant que nous ne sommes pas capables. En plus de cela, on a malheureusement cette fâcheuse tendance à vouloir que tout soit parfait. Avant même d’essayer, on doute. Notre principal ennemi est sans doute nous-même. Je leur conseille donc d’y aller, ne pas hésiter et foncer !

Il est important de rappeler que nous ne sommes pas seules dans une entreprise, il y a d’autres personnes sur qui on peut compter. L’essentiel est donc d’essayer d’avoir confiance en soi – autant que possible – et de savoir bien s’entourer. J’aimerais dire à ces jeunes femmes qui hésitent à poursuivre ce type de carrière que c’est tout à fait possible. Ce ne sera pas toujours parfait, des erreurs seront peut-être commises mais il ne faut pas avoir peur de l’échec. Il faut oser, essayer, travailler pour y arriver et surtout savoir le reconnaître lorsqu’on a finalement atteint son but.

L’industrie est un secteur qui globalement peine à recruter ou en tout cas attire moins les jeunes talents. Cette filière pâtit d’une image dégradée (sale, polluante, à l’encontre des discours écologistes, horaires à rallonge ou que sais-je…). Il y a une nécessité de faire tomber ces idées et préjugés. L’industrie est un milieu dans l’ère du temps et qui est tout à fait compatible avec le fait d’être une femme. Il est de notre ressort d’en parler et de promouvoir l’industrie au travers d’exemples et de parcours pour que les jeunes femmes puissent non seulement y penser, mais aussi pour que l’industrie fasse désormais partie de leur choix d’orientation.

9. Qu'est-ce qui vous rend Unstoppable* ? (inarrêtable)

Je dirais que ce sont mes enfants. Car j’ai envie qu’ils soient fiers de leur maman.

Je me rends compte que déjà tout petit et avec leur esprit ouvert, les enfants sont encore surpris de certains faits (maman qui travaille à l’usine, une femme qui conduit un camion...). J’ai envie qu’un jour cela ne fasse plus partie des questions. Maman est tout aussi capable que n’importe qui d’autre, et ce, malgré sa sensibilité et ses défauts. Je ne suis pas wonderwoman. Et pour moi, papa ou maman c’est pareil : ce n’est pas simple ni pour l’un, ni pour l’autre.

Le groupe dans lequel je travaille aujourd’hui cherche aussi à promouvoir la diversité. C’est une chance ! Cependant, il faut faire attention ; ce que je n’aime pas, c’est la discrimination positive. Pour moi, c’est le pire. Car le principal risque est qu’en imposant des quotas, des personnes soient mises en échec – si elles ne sont pas encore prêtes par exemple – et cela donnerait raison aux détracteurs. Il ne faudrait pas que l’on en vienne à penser que les femmes sont à certaines positions parce qu’il fallait un nombre et non pas parce qu’elles le méritaient.

J’espère donc que mon témoignage contribuera à casser ces codes et inspirera d’autres parcours Unstoppable.

Merci à Mme Bertrand pour son témoignage.

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